Pour cette treizième Bataille Royale du whisky, Whisky et Cie réunit trois expressions de 18 ans dont la longévité permet d’apprécier pleinement l’influence du temps sur la structure et la complexité : le Arran 18 ans, le Bunnahabhain 18 ans et le Ledaig 18 ans. Chacun incarne une approche distincte du vieillissement, tant par les types de fûts employés que par la philosophie de distillation.
Au fil de cette dégustation comparative, nous examinerons leurs profils respectifs pour mieux comprendre ce qui les distingue, ce qui les relie et lequel s’impose comme l’expression la plus accomplie de ce trio d’exception.
Le Arran 18 ans – L’équilibre et la noblesse
Premier à entrer dans l’arène, le Arran 18 ans se présente comme un modèle de raffinement. Issu d’un assemblage composé de 60 % de fûts de bourbon et 40 % de fûts de xérès, il est embouteillé à 46 %, sans filtration à froid ni colorant ajouté. Avec sa robe cuivrée profonde, il attire immédiatement le regard par sa teinte chaleureuse et sa texture huileuse.
Au nez, c’est une véritable symphonie d’arômes : bois ancien, fruits mûrs, vanille et notes miellées. On y perçoit les effets du temps, une impression de bibliothèque ancienne et de boiseries de vieux collège. Des effluves d’orange et de datte viennent adoucir le tout, ajoutant de la gourmandise à ce profil déjà riche.
En bouche, la magie opère. Le whisky se montre velouté, dense et crémeux, déployant une palette complexe où se mêlent fruits secs, agrumes, vanille et fines épices. La structure est parfaitement équilibrée : rien ne domine, tout se fond dans une harmonie enveloppante. La finale, d’une longueur impressionnante, révèle des tannins délicats qui tapissent la langue avec douceur, apportant un toucher presque soyeux.
Le Arran 18 ans offre une expérience complète, à la fois généreuse et apaisante — un whisky d’une grande maturité, fait pour être savouré lentement, en compagnie ou en contemplation.
Le Bunnahabhain 18 ans – La douceur timide
Vient ensuite le Bunnahabhain 18 ans, grand classique des amateurs de la distillerie d’Islay. Vieilli dans un mélange de fûts de bourbon et de xérès, il est également embouteillé à 46,3 %, non filtré à froid et sans colorant. C’est un whisky apprécié pour son profil aromatique riche, mais également reconnu pour la variabilité marquée de ses lots, ce qui fait que deux bouteilles de 18 ans peuvent parfois offrir une expérience sensiblement différente.
Visuellement, il affiche une robe cuivrée un peu plus pâle que le Arran. Les larmes glissent lentement sur les parois du verre, témoignant d’une belle viscosité. Au nez, le whisky se montre plus discret, presque réservé : on distingue des notes d’orange, de raisin sec et un soupçon de chêne ancien, mais le tout demeure feutré, en retrait. Là où le Arran s’exprime avec éclat, le Bunnahabhain semble murmurer.
En bouche, l’entrée est douce et crémeuse, marquée par une chaleur enveloppante et une texture riche. Les fruits noirs et les agrumes se manifestent brièvement avant que le bois ne prenne le dessus. La finale, légèrement asséchante et boisée, trahit la présence de tannins plus rugueux.
C’est un whisky élégant mais moins expressif, qui séduit par sa rondeur sans toutefois atteindre la profondeur de ses rivaux. Pour certains, il manque de corps et d’intensité, comme si le temps avait adouci son élan plutôt que de le magnifier.
Le Ledaig 18 ans – La puissance maîtrisée
Enfin, place au Ledaig 18 ans, le seul whisky tourbé du trio. Issu de la distillerie Tobermory, sur l’île de Mull, il a vieilli 16 ans en fûts de bourbon avant de connaître une seconde maturation de deux ans en fûts de xérès oloroso. Embouteillé à 46,3 %, non filtré à froid et sans colorant, il incarne la rusticité élégante des whiskys insulaires.
Dès le nez, le contraste avec les deux autres est saisissant : une fumée douce et sucrée s’élève, rappelant un feu de bois apaisé ou un fumoir à saumon encore tiède. Des notes de sel, de bois humide et de fruits mûrs se mêlent à une subtile touche soufrée. C’est une fumée grasse, généreuse, mais jamais agressive — un équilibre rare entre intensité et délicatesse.
En bouche, le Ledaig 18 ans impressionne par sa rondeur et sa cohérence. La fumée cendrée et la salinité se fondent dans une trame fruitée évoquant la pomme et la poire. L’expérience est riche et nuancée, passant du sucré au salé avec une fluidité remarquable. La finale est longue, légèrement poivrée, dominée par la tourbe douce et les embruns marins.
Le Ledaig 18 ans offre une expérience sensorielle complète : un whisky vibrant, équilibré, qui marie la terre, la mer et la fumée dans une parfaite harmonie.
Nos avis et le verdict
Au terme de cette treizième Bataille Royale, un constat s’impose : bien qu’ils partagent un âge identique, ces trois whiskys de 18 ans révèlent des philosophies radicalement différentes, tant dans leur conception que dans leur expression aromatique. Le Bunnahabhain 18 ans s’est présenté comme le plus discret du trio — un whisky agréable, doux et équilibré, mais dont la retenue aromatique surprend pour un spiritueux aussi mature. Sa texture est soyeuse, ses fruits noirs sont présents, mais trop timides, et ses tanins, quoique fins, prennent rapidement le dessus en asséchant la finale. C’est un whisky que plusieurs apprécieront pour sa simplicité élégante, mais qui, dans ce contexte comparatif, manque d’ampleur et de précision.
À l’opposé, le Ledaig 18 ans a offert une performance éclatante, à la hauteur de la réputation de la distillerie de l’île de Mull. Sa fumée grasse et sucrée, son caractère salin marqué et son équilibre remarquable entre douceur fruitée et puissance tourbée en font un whisky vibrante originalité. Là où le Bunnahabhain s’efface, le Ledaig s’affirme : expressif, cohérent, riche et parfaitement construit. Sa finale longue et nuancée, oscillant entre le poivre blanc, la cendre douce et les embruns marins, lui confère une profondeur sensorielle que peu de malts tourbés parviennent à atteindre à cet âge.
Mais c’est le Arran 18 ans qui, dans l’ensemble, s’est montré le plus complet et le plus uniformément maîtrisé. Complexe au nez, somptueux en bouche, doté d’une texture dense et veloutée, il incarne l’équilibre parfait entre richesse aromatique, précision technique et cohérence structurelle. Le mariage du bourbon et du xérès y est parfaitement orchestré : fruits mûrs, agrumes confits, vanille, bois noble, tannins fins et finale interminable composent un portrait sensoriel d’une grande maturité. L’impression d’ensemble est celle d’un whisky accompli, stable, généreux et d’une sophistication qui transcende même son prix.
Conclusion
Cette Bataille Royale XIII démontre avec clarté que l’âge n’uniformise pas les malts : il amplifie plutôt les identités. Le Bunnahabhain 18 ans incarne la douceur tranquille d’un whisky délicatement vieilli, mais qui peine à rivaliser en intensité. Le Ledaig 18 ans, avec sa tourbe élégante et sa salinité envoûtante, impressionne par sa profondeur maritime et sa cohérence aromatique. Quant au Arran 18 ans, il se démarque comme l’expression la plus aboutie des trois : complexe, équilibrée et techniquement irréprochable.
Ce duel de maturité prouve une fois de plus que la richesse d’un whisky de 18 ans réside autant dans sa méthode de fabrication que dans la personnalité de la distillerie qui l’a vu naître. Trois styles, trois visions, trois grandes bouteilles — mais un seul champion, celui qui a su unir le travail du bois, la précision de l’assemblage et la générosité du temps : le Arran 18 ans.