Pour cette onzième « Bataille Royale » de Whisky et compagnie, cap sur l’île d’Islay avec la distillerie Bunnahabhain, reconnue pour sa singularité dans un territoire dominé par les malts tourbés. Ici, la fumée n’est pas une obligation mais une option, et cela permet une palette aromatique bien plus variée qu’on ne pourrait le croire. Trois expressions très différentes se partagent l’arène : le Bunnahabhain 12 ans, pilier non tourbé de la maison ; le Toiteach A Dhà, version fumée mais tout en nuances ; et le Bunnahabhain 18 ans, représentant du savoir-faire patient et mature. Le principe reste inchangé : on présente, on déguste, on compare… puis on tranche.
Bunnahabhain 12 ans
Vieilli en fûts de bourbon et de xérès de premier remplissage, embouteillé à 46,3 % sans filtration ni colorant, le Bunnahabhain 12 ans est un modèle d’accessibilité raffinée. Sa robe dorée cuivrée témoigne de la richesse de son élevage.
Au nez, on retrouve un mélange pâtissier de fruits secs (raisins, dattes, figues), d’agrumes doux et de crème vanillée, avec une touche saline rappelant la côte d’Islay. En bouche, l’attaque est fruitée et juteuse avant de basculer vers une salinité gourmande. La texture crémeuse, presque beurrée, enveloppe les papilles tandis que le caramel et les épices douces prolongent le plaisir. La finale, longue et chaleureuse, évoque un dessert d’après-repas. Un whisky doudou : généreux, harmonieux, rassurant.
Toiteach A Dhà
Littéralement « fumée numéro 2 » en gaélique, le Toiteach A Dhà est la facette tourbée de Bunnahabhain. Issu d’un assemblage de 75 % de fûts de xérès et 25 % de bourbon, estimé à 40 ppm de phénols, il ne cherche pas à rivaliser avec les monstres fumés d’Islay, mais plutôt à marier douceur et braise. Ce whisky titre à 46,3 %, et il n’a subit aucune filtration à froid ni coloration artificielle.
Sa robe paille dorée est plus pâle que celle du 12 ans. Au nez, la fumée apparaît immédiatement mais se fond dans des notes de raisins secs, de vanille et d’agrumes. On pense à un dessert caramélisé passé légèrement sous la flamme. En bouche, la mer prend les devants : sel, embruns et poivre léger, suivis d’une fumée élégante qui tapisse le palais. La texture huileuse retient les arômes comme un vernis gourmand. La finale persiste longuement entre fumée douce, fruit sucré et sel marin. Un whisky double-face : à la fois accueillant et sauvage.
Bunnahabhain 18 ans
Avec ses 18 années de maturation en 70 % de fûts de xérès oloroso et 30 % de bourbon, embouteillé à 46,3 %, ce vétéran se présente comme le sommet de la sophistication.
Sa robe cuivrée profonde inspire le respect. Au nez, c’est un véritable pudding anglais : figues, dattes, caramel chaud, miel et épices douces. Le caractère maritime se devine en arrière-plan, discret mais bien présent. En bouche, la texture est soyeuse, presque veloutée. Les fruits secs dominent, accompagnés d’un bois noble légèrement tannique. La finale, longue et apaisée, se déploie comme une couverture chaude sur une soirée d’hiver. Un whisky mature, serein, contemplatif.
Nos avis et le verdict
Après cette dégustation riche en contrastes, un verdict s’impose : le Bunnahabhain 12 ans, aussi charmant soit-il, prend la troisième place. Il reste toutefois une référence incontournable — un compagnon constant, abordable et digne de figurer dans toute collection.
Le véritable duel oppose le Toiteach A Dhà et le 18 ans. Le 18 ans impressionne par sa maîtrise et son élégance. Il procure la satisfaction tranquille d’un whisky abouti, sans besoin d’en faire trop. Mais son prix élevé le réserve aux occasions ou aux curieux fortunés, ce qui limite son accessibilité.
Le Toiteach A Dhà, lui, a créé la surprise. Il incarne ce que l’on attend d’un gagnant de bataille royale : du caractère, de la personnalité et une identité forte. Il combine les qualités du 12 ans (fruit, douceur, salinité) tout en y ajoutant une dimension fumée parfaitement dosée. Il est à la fois plus audacieux que le 12 ans et plus joueur que le 18 ans. En somme : le meilleur équilibre entre plaisir immédiat et complexité.
À notre grande surprise, ce combat n’aura donc pas couronné le whisky le plus âgé ni le plus coûteux. Nous pensons que cette deuxième place est attribuable à un lot dont la production n’atteignait peut-être pas les standards habituels. Le Toiteach A Dhà démontre qu’un whisky peut être tourbé sans brutalité, complexe sans hermétisme, maritime sans austérité. Il incarne à lui seul ce qui fait la force de Bunnahabhain : une capacité unique à concevoir des malts profondément expressifs sans jamais sacrifier la douceur.
Le 12 ans reste le cœur battant de la distillerie : celui qu’on recommande, celui qu’on partage. Le 18 ans, lui, représente la sagesse : il impressionne moins par son éclat que par sa profondeur. Mais le Toiteach A Dhà est celui qui raconte une histoire. Il donne envie de reprendre une deuxième gorgée, puis une troisième, non pas pour s’en souvenir… mais pour ne jamais l’oublier.
Une bataille royale sans vaincus — mais avec un champion qui mérite ses lauriers.