Pour inaugurer la toute première Bataille Royale du whisky, l’équipe de Whisky et Cie plonge au cœur de l’île d’Islay pour un affrontement entre trois expressions phares de la distillerie Ardbeg : le An OA, le Uigeadail et le Corryvreckan. Ces trois whiskys incarnent l’âme d’Islay avec leurs puissants arômes tourbés, leurs notes maritimes et leur caractère indomptable. Dans cette dégustation, il ne s’agit pas seulement de comparer des bouteilles, mais bien de mesurer trois interprétations d’un même héritage : la tourbe d’Ardbeg sous toutes ses formes.
Le An OA – Le jeune prétendant au trône
Premier à se présenter dans l’arène, le Ardbeg An OA est l’expression la plus accessible et douce de la gamme. Vieilli dans un assemblage de fûts de bourbon, de xérès et de chêne vierge, il offre une introduction équilibrée à l’univers d’Ardbeg. À 46,6 % d’alcool, il se montre généreux sans agresser le palais.
Au nez, le An OA révèle une fumée sucrée et enveloppante, adoucie par des notes d’agrumes et une pointe saline rappelant la mer d’Islay. L’expérience olfactive se distingue par une harmonie entre la tourbe et la douceur. En bouche, le contraste est frappant : la fumée se fait salée et plus affirmée, soutenue par une texture riche. L’évolution est progressive, chaque gorgée dévoilant de nouvelles nuances — un véritable “train des saveurs”, comme le décrivent les dégustateurs.
Les accents de fruits secs, de caramel salé et d’épices douces s’entremêlent dans une finale moyenne, légèrement sucrée et iodée. Sans être le plus complexe, le An OA se distingue par son équilibre entre gourmandise et caractère fumé, parfait pour ceux qui découvrent le style Ardbeg.
Le Uigeadail – La profondeur et la puissance
Le Ardbeg Uigeadail, lancé en 2003, tire son nom du loch qui alimente la distillerie en eau. Embouteillé à 54,2 %, non filtré à froid, il marie des fûts de bourbon et une proportion de xérès oloroso qui lui confèrent sa richesse légendaire. Il incarne la rencontre entre la douceur du xérès et la sauvagerie de la tourbe.
Visuellement, il affiche un jaune cuivré lumineux. Au nez, il se montre d’abord réservé — il faut lui laisser le temps de s’ouvrir. Peu à peu, se déploient des arômes de miel de bruyère, de vanille et de citron, accompagnés d’une fumée subtile rappelant un feu de camp éteint. Des effluves de bacon grillé, de camphre et de brise marine complètent le tableau, typiques du style Islay.
En bouche, c’est une véritable explosion sensorielle : la salinité envahit le palais dès la première gorgée, suivie d’une onctuosité surprenante. Le sucre du xérès, les fruits secs (datte, raisin) et la fumée froide s’entremêlent dans une texture dense et huileuse, presque moelleuse. L’équilibre entre puissance et douceur impressionne. La finale est longue, saline et réconfortante, laissant en bouche un goût persistant de fumée et de mer.
Un whisky à la fois musclé et sophistiqué, où la complexité aromatique se dévoile lentement mais sûrement.
Le Corryvreckan – L’élégance sauvage
Le troisième concurrent, le Ardbeg Corryvreckan, est le plus intense et le plus prestigieux du trio. Lancé en 2009, il porte le nom d’un gigantesque tourbillon marin situé entre Jura et Scarba — une image à la hauteur de sa puissance. Embouteillé à 57,1 %, non filtré à froid, il combine des whiskys vieillis en fûts de bourbon, en fûts de chêne français neufs et, dit-on, en anciens fûts de vin de Bourgogne.
Sa robe cuivrée laisse deviner sa densité. Au nez, il s’ouvre lentement, dévoilant des parfums maritimes et floraux, un soupçon de vin rouge, des notes d’orge maltée et de vanille. On y perçoit aussi une fumée discrète, du bois humide et un zeste de pamplemousse rose. Le tout compose un profil aromatique complexe, raffiné et équilibré.
En bouche, le Corryvreckan frappe fort : salinité immédiate, transition rapide vers une fumée épaisse et poivrée, puis retour à la fraîcheur. C’est un whisky à la fois vigoureux et étonnamment rafraîchissant, évoquant une effervescence d’agrumes et une texture soyeuse. La finale est exceptionnellement longue et persistante : un mariage entre le sel, la fumée et les fruits acidulés.
Ce whisky impressionne par son fini distingué et sa maîtrise aromatique, prouvant qu’un haut degré d’alcool peut rimer avec élégance.
Nos avis et le verdict
Lorsque vient le moment du verdict, le consensus est clair : il s’agit de trois whiskys d’exception, chacun exprimant une facette unique de la distillerie Ardbeg. Le An OA charme par sa douceur et son accessibilité, parfait pour s’initier à la tourbe sans se laisser submerger. Le Uigeadail, plus intense et profond, se distingue par sa densité, sa texture huileuse et sa générosité, offrant une expérience riche et enveloppante. Quant au Corryvreckan, il s’impose comme l’expression la plus raffinée et la plus fraîche du trio, alliant puissance et élégance avec une précision remarquable. Dans une progression naturelle, chaque whisky semble prolonger le précédent : l’An OA ouvre la danse, le Uigeadail donne le rythme, et le Corryvreckan clôt le bal avec grâce et intensité.
Conclusion
Cette première Bataille Royale aura démontré la richesse du style Ardbeg, où la tourbe se décline en mille nuances — tour à tour sucrée, saline, fruitée ou florale. Si le Uigeadail demeure la référence en termes de puissance et de texture, le Corryvreckan s’impose comme le grand gagnant de ce duel fraternel grâce à son raffinement et sa longueur en bouche exceptionnelle. Quant au An OA, il reste une porte d’entrée idéale vers le monde fascinant d’Islay.
Trois expressions, trois visages d’une même légende — celle d’Ardbeg, où la mer, la tourbe et le feu se rencontrent dans le verre.