
Un grand nombre d’experts et de connaisseurs affirment que le vieillissement du whisky en fûts de chêne contribue en grande partie aux arômes et aux saveurs perçus dans le scotch. Certains vont jusqu’à dire que 40% à 70% du caractère d’un whisky serait déterminé par le long processus de maturation en chai.
J’aime bien mettre en parallèle l’étape du vieillissement du whisky en fûts de chêne avec le cheminement scolaire d’un individu. L’école et le corps enseignant sont ce que le chai et les fûts de chêne représentent pour le whisky. La qualité des enseignants, les outils pédagogiques mis à la disposition des élèves, le parcours académique, le niveau de scolarité contribueront de manière significative au développement de la personne, ainsi qu’au développement de son identité sociale ou professionnelle. Même parfois, le niveau de scolarisation ira jusqu’à déterminer le statut social de la personne. Pensons aux titres comme Docteur (e), Maître ou encore Professeur(e).
Pour le whisky, l’emplacement géographique d’une distillerie et de ses chais peut marquer de manière distinctive la nature d’un whisky. Par exemple, des installations situées sur la côte maritime ou sur une île peuvent contribuer au développement de notes iodées ou salées dans le spiritueux. Un peu à l’image des enseignants, les fûts de bourbon élèvent les parfums et les saveurs du whisky par l’ajout de notes de vanille, de caramel voire de noix de coco. Tout comme les années d’études ou les diplômes, une longue période de maturation et une mention d’âge confèrent indéniablement au whisky une aura de reconnaissance et de “sagesse”.
Maintenant, revenons à notre propos principal, celui des alambics. Poursuivons dans la même logique et faisons du pouce sur l’analogie précédente. Si la culture de l’orge et le processus de maltage correspondent au stade de gestation de l’être humain et que l’étape de fermentation se veut la naissance du spiritueux, j’aime décrire l’étape de distillation comme étant la petite enfance du whisky. Vous me pardonnerez ici cette série d’images qui surgissent à mon grand étonnement d’un long passé professionnel.
Vous avez sûrement entendu ce dicton populaire qui dit que pour un enfant, tout se joue avant 6 ans. En bas âge, l’amour des parents, l’environnement familial, le réseau de soutien et le contexte socio-économique sont parmi les facteurs qui auront le plus d’incidence sur la vie et sur l’avenir d’un enfant. Nous savons que les premières années de vie sont cruciales pour le bon développement de l’enfant. La petite enfance déterminera en grande partie la personne que nous deviendrons - l’essence même de notre potentiel humain, notre cœur et notre âme.
Au même titre, le matériau utilisé pour construire un alambic, la dimension et la forme d’un alambic et la configuration des différents éléments d’un alambic détermineront l’essence même d’un whisky en devenir. C’est en alambic que le distillat grandira en force et en caractère. N’est-ce pas là le principal but de la distillation?
Chaque alambic possède une signature unique. D’où la grande variété de modèles existants dans les distilleries écossaises. Comme pour les êtres humains, la diversité des profils est inévitable et même souhaitable à plusieurs égards. Aucune famille n’est identique. Aucune distillerie n’est identique. Selon le type d’alambic utilisé et ses caractéristiques thermodynamiques, chaque whisky développera une identité personnelle et une complexité qui lui est propre. C’est là aussi que le potentiel de vieillissement du distillat s’établira, mais surtout c’est par le passage en alambic que l’on pourra reconnaître le cœur et l’âme d’un whisky.
Anatomie 101: l’alambic écossais
Il existe essentiellement 2 types d’alambic pour la production du whisky : l’alambic à colonnes, connu aussi sous les noms de “Coffey Still” ou de “Column Still”, et l’alambic charentais, communément appelé le “Pot Still”. L’alambic à colonnes opère de façon continue et peut produire un alcool de grain titrant à plus de 90% d’alcool par volume. Cette alambic mise surtout sur le rendement.
Pour le sujet qui nous intéresse, nous porterons davantage notre attention sur l’alambic charentais. Le “Pot Still” est le type d’alambic traditionnellement utilisé pour la production des single malts écossais. Il permet d’obtenir un distillat possédant un taux d’alcool situé à près de 70% par volume après un passage en alambic de première distillation (wash still), et un autre en alambic de seconde distillation (spirit still) .
Deux éléments majeurs façonneront l’identité d’un whisky en alambic. D’abord, le matériau utilisé pour fabriquer celui-ci. Comme la plupart d’entre vous le savez, tous les alambics en Écosse sont en cuivre. Ce choix est loin d’être un motif purement esthétique. Le cuivre comporte des propriétés particulières qui servent grandement le distillateur. L’autre élément qui contribue grandement au profil aromatique et gustatif d’un whisky est le phénomène de reflux présent lors du chauffage du moût en alambic. D’ailleurs, nous aborderons plus en détails ces 2 éléments dans un instant.
Pour l’instant, prenons quelques minutes pour étudier les différentes sections d’un alambic. Ceci nous aidera à mieux comprendre les facteurs d’ordre chimique et thermodynamique qui viennent influencer le caractère final du distillat.
L’alambic charentais est principalement constitué de 4 sections :
D’abord la partie inférieur, nommé la bouilloire. La bouilloire est l’énorme récipient qui contient le moût pour la distillation. Les bouilloires sont de volumes variés. Comme nous l’avons mentionné, la bouilloire de la distillerie Glenkinchie est celle dont la capacité est plus grande avec ses 30000 litres. L’alambic avec le plus petit volume est celle de la distillerie Edradour avec 2179 litres. Les bouilloires peuvent prendre des formes diverses. Elles peuvent être en forme d’oignon, de demi-sphère, de poire, de cloche et de cylindre, entre autres.
Le chapiteau est la partie située juste au-dessus de la bouilloire. Il peut être constitué de une à 3 sections: le corset, la boule d’ébullition (protubérance) et la colonne.
Ce dernier élément peut aussi venir en différentes configurations: en forme de cône, de tube, de trapèze (cône trapu) ou de large tube(Lomond).
Dans la partie supérieure de l’alambic, se retrouve le col de cygne. Cette section courbée dirige la vapeur vers le condenseur à la sortie de l’alambic. D’un distillerie à l’autre, les cols de cygne peuvent avoir des degrés de courbature très variés et avoir différents diamètres pour leur largeur.
Finalement, la dernière partie composant l’alambic s’appelle le bras de Lyne. De longueur variable, cette section permet à la vapeur de compléter son chemin vers le condenseur. Chaque alambic privilégie une pente différente pour le bras de Lyne: certains sont à angle plat, d’autres montent vers le haut tandis que d’autres descendent vers le bas. Saviez-vous que la nouvelle distillerie Ardnahoe, située sur l’Île d’Islay, possède les alambics avec les plus longs bras de Lyne de l’Écosse. En effet, ceux-ci mesurent près de 7 mètre et demi!
Pourquoi les alambics sont-ils fabriqués en cuivre ?
Le cuivre est une matière première très dispendieuse. Malgré cela, les distilleries le préfère à l’acier inoxydable pour la fabrication des alambics. Mais pourquoi? Principalement en raison de ses propriétés chimique et thermique, mais aussi pour des considérations plus pratiques. Le cuivre est très malléable . Il peut donc être facilement martelé et courbé en de nombreuses formes. Par ailleurs, le cuivre est également un matériel très résistant, facile à nettoyer, et qui possède surtout une grande conductivité thermique.
Malgré tous ces avantages, ce sont en fait les propriétés chimiques du cuivre qui le rendent idéal pour produire un grand whisky. Sa capacité à catalyser des composés soufrés est ce qui importe le plus aux distillateurs. Lors du processus de fermentation, le moût produit est un brassin complexe constitué de différents composés aromatiques et gustatifs connus collectivement sous le nom de congénères. Cette “bière” titrant entre 7% et 10% d’alcool contient toutefois de nombreux éléments moins désirables que le maître distillateur cherchera à éliminer ou à mieux pondérer lors de l’étape de distillation en alambic. Notamment, les composés soufrés volatils qui sont l’un des produits dérivés de la fermentation. Ensemble, ils sont responsables des arômes et des saveurs de viande, d’œuf dur trop cuit et d’allumette brûlée.
Lors de la distillation, le cuivre agit comme un catalyseur pour ces composés soufrés volatils, les convertissant en sulfate de cuivre. La surface poreuse des parois cuivrées attrape ces composés lourds présents dans la vapeur et élimine ces impuretés sulfureuses du distillat. Ces cristaux de sel de couleur bleu azur restent collés sur les parois de l’alambic ou tombent tout simplement au fond de la bouilloire. C’est l’une des raisons pour lesquelles les alambics doivent être nettoyés après chaque utilisation.
Le reflux : une variable déterminante
À 78° Celsius, il n’y pas uniquement l’éthanol qui s’évapore lorsque l’alambic est chauffé. Il y a aussi les esters - des composés chimiques formés par la réaction entre un acide et un alcool. Dans la production de whisky, les esters contribuent à la complexité aromatique et gustative du whisky en amenant des éléments fruités, floraux et parfois épicés. D’autres éléments tel les phénols et les alcools de fusel - appelé aussi les mauvais alcools - sont aussi présents dans le moût. Certains de ses composés si en trop grande quantité peuvent gâter l’expérience olfactive ou compromettre le goût d’un whisky. Généralement, ces substances s’évaporant avec l’éthanol sont plus lourdes et plus huileuses. Le reflux ou plutôt la quantité de reflux devient un élément déterminant dans le contrôles de ces composés au caractère plus affirmé.
Qu’est-ce que le reflux? Le reflux est un processus thermodynamique qui se produit à l’intérieur de l’alambic pendant le processus de distillation. Lorsqu’un liquide bout, divers composés se vaporisent et se transforment en gaz. Ces gaz commencent à monter dans l’alambic, et s’ils atteignent le condenseur, ils redeviennent liquides et sont recueillis comme distillat.
Cependant, un composé se refroidira (ou perdra de l’énergie) en montant dans l’alambic en raison de la température de l’air ambiant, ou tout simplement par le contact avec les parois cuivrées plus froides. S’il se condense de nouveau en liquide alors qu’il est encore dans l’alambic, il retombera dans la bouilloire pour être à nouveau distillé. C’est le reflux, et ce processus se traduit par une action progressive de raffinement et de purification qui favorisera l’élaboration d’un distillat plus léger et plus soyeux. Cette distillation répétée, successive et multiple du moût éliminera encore plus les impuretés ou aidera à mieux contrôler l’influence des composés plus lourds et plus huileux. La forte présence de reflux permet aussi aux composés plus légers, tel l’éthanol, de se faufiler et de poursuivre leur ascension vers le condensateur.
Conclusion
Comme nous avons pu le constater, les alambics jouent un rôle important dans le processus de purification du distillat, mais aussi dans l’affirmation du caractère unique du whisky. La surface cuivrée de ces immenses bouilloires et le phénomène de reflux résultant des interactions entre les vapeurs et l’alambic sont les principaux éléments influençant les profils olfactif et gustatif lors de la distillation.
Sources :
Whisky Stills : Does Shape Matter?
Shaping Scotch: The Importance of the Pot Still
How copper influences the flavour of whisky
How Pot Still Shape Affects Whiskey Flavor
An Exploration of Whisky Stills
Why And How Stills Influence Whisky
What is reflux and how does it influence Scotch whisky character?