
Le cuivre est le choix de prédilection des distilleries écossaises pour la fabrication des alambics. Ce métal est parfaitement malléable, résistant, facile à nettoyer et reconnu surtout pour être un excellent conducteur thermique. Mais, le choix du cuivre se justifie principalement par ses particularités chimiques singulières qui lui permettent d’agir comme filtre naturel dans la réduction des éléments de nature sulfureuse présents dans le moût.
Le phénomène de reflux dans l’alambic joue un rôle clé dans la définition du profil général du whisky. Rappelons-le, le reflux est ce processus de refroidissement et de condensation des vapeurs lourdes où les éléments qui les constituent retombent dans la bouilloire pour être distillés à nouveau. Ce processus se traduit par une action progressive de raffinement et de purification qui développe la sophistication du distillat résultant, éliminant encore plus les impuretés et autres éléments plus lourds et plus huileux.
Dans cet article, nous allons examiner comment la dimension, la forme, et la configuration d’un alambic peuvent influencer les aspects thermodynamiques de la distillation, et par conséquent jouer sur les profils olfactif et gustatif du spiritueux.
La dimension de l’alambic
Dans l’art complexe de la fabrication du whisky, chaque élément du processus de distillation joue un rôle crucial dans la création d’un profil unique au whisky. Parmi ces éléments, la taille de l’alambic est probablement celui qui a une des plus fortes influences sur les arômes et le goût final de l’eau-de-vie. La fabrication d’un alambic de grand volume (15000 litres et plus) requiert une quantité impressionnante de cuivre. Plus l’alambic est de forte taille, plus les interactions entre le cuivre et les vapeurs sont favorisées. L’un des traits distinctifs du distillat issus des alambics plus volumineux réside dans leur faible concentration en composés soufrés. Ce qui confère au whisky une incroyable pureté aromatique et une délicatesse distinctive en bouche. De plus, la plus grande surface de contact avec le cuivre pour les alambics surdimensionnés favorise une réaction chimique appelée estérification. Comparativement aux esters produits lors de la fermentation, ceux produit au moment de la distillation peuvent être plus riches et plus complexes, donnant au whisky des notes fruités, florales, épicées plus prononcées.
Comme nous l’avons mentionné lors de l’épisode précédent, la grande taille d’un alambic contribue à favoriser la présence de reflux lors de la distillation. Un alambic avec un chapiteau très large ou fait sur la longueur favorisera le refroidissement des vapeurs lourdes, et par conséquent provoquera leur retour à la bouilloire. Seules les vapeurs d’éthanol, plus légères, auront plus de facilité à s’échapper du chapiteau pour se rendre au condenseur.
En raison de la grande conductivité thermique du cuivre, la plus grande surface cuivrée permet à l’air extérieur de refroidir naturellement les vapeurs. Par conséquent, le phénomène de condensation est plus important dans un grand alambic. L’alambic de forte taille possède aussi un plus grand volume d’air à l’intérieur du chapiteau - ce qui contribue aussi à la diminution de la température intérieure au fur et à mesure qu’on s’élève dans l’alambic. Ceci favorise favorisent encore plus le reflux lors de la distillation. La forte présence de reflux à l’intérieur de l’alambic contribue à favoriser l’élaboration d’un distillat plus léger et plus soyeux grâce à une distillation répétée, successive et multiple du moût et de ses composés les plus denses, tels que les phénols, les esters et les alcools de fusel .
En contrepartie, les alambics de petites tailles (10000 litres et moins) sont privilégiés lorsque le distillateur souhaite produire un whisky moins transformé au caractère plus lourd, plus intense, voire plus rustique. La faible superficie du cuivre dans les alambics de petite dimension favorise la présence de légères notes de soufre dans le distillat. De plus, l’utilisation de petits alambics permettra à plusieurs éléments lourds de monter sans encombre dans le chapiteau et de se rendre plus facilement vers le condenseur. Plusieurs composés chimiques tels les phénols, les esters et certains alcools de fusel aux caractéristiques plus huileuse sont à l’origine d’une multitude de parfums et de saveurs tant appréciés par les amateurs de whisky. Les alambics à petit volume permettent au distillateur de préserver à son gré les notes maltés, iodées, salées, tourbées, fumées, ou médicinales d’un whisky. Les petits alambics sont également reconnus pour produire des spiritueux dont la texture en bouche sera plus complexe, plus dense et plus huileuse.
La forme de l’alambic
Le chapiteau d’un alambic joue un rôle important dans le processus de distillation du whisky. Une des manières par lesquelles le chapiteau contribue aux arômes du whisky est par sa capacité à influencer la quantité de reflux dans l’alambic.
La présence d’un corset à la base du chapiteau crée un resserrement qui favorise le contact des vapeurs avec les parois cuivrées de l’alambic. Un passage restreint à la sortie de la bouilloire augmente le reflux vers la bouilloire et favorise la production d’un distillat plus léger.
Un second élément au niveau du chapiteau qui favorise le reflux dans l’alambic est l’ajout d’une boule d’ébullition entre la bouilloire et la colonne. Cette protubérance élargit l’espace à l’intérieur du chapiteau et entraîne une réduction de la température de l’air ambiant dans cette partie de l’alambic. Cette baisse de chaleur contribue au refroidissement des vapeurs et provoque une plus grande quantité de reflux vers la bouilloire. Ce gonflement à la base du chapiteau augmente par le fait même la quantité du cuivre pouvant entrer en interaction avec les vapeurs. Ceci facilite bien évidemment le phénomène de condensation des vapeurs, donc le reflux. De plus, l’effet catalyseur du cuivre facilitera l’élimination des composés soufrés, mais aussi contribuera à une plus grande formation d’esters et d’autres composés aromatiques. En d’autres mots, l’ajout d’une boule d’ébullition à l’alambic permet de produire un whisky encore plus purifié, plus doux, et aux caractéristiques plus fruité, plus florale et plus épicé.
Au niveau du chapiteau, la forme de la colonne influence aussi grandement les profils aromatique et gustatif du whisky. Encore ici, les mêmes principes chimiques et thermodynamiques s’appliquent. Plus la colonne est large ou longue, plus la surface cuivrée sera grande et plus les interactions entre les parois de l’alambic et les différents composés de la vapeur seront importantes. La grande conductivité thermique du cuivre et la fraîcheur de l’air extérieur à l’alambic contribueront au refroidissement des vapeurs lourdes, et viendront augmenter le reflux. Comme vous pouvez aussi le déduire, un plus large espace à l’intérieur de la colonne entraînera une température plus basse de l’air ambiant du chapiteau ce qui aidera au reflux. Comme pour la boule d’ébullition, la présence plus grande de cuivre en lien avec la forme de la colonne contribuera au développement des esters et à la pureté du distillat par la réduction des éléments soufrés. En conclusion, plus une colonne sera large et haute, plus les impuretés, et les composants plus lourds et plus huileux, seront absents du distillat final. Mais aussi, plus les esters enrichiront le profil du whisky.
Comme pour les différents éléments du chapiteau, la forme du col de cygne et le bras de Lyne ont une forte incidence sur la présence de reflux dans la partie supérieure de l’alambic. Un col de cygne évasé et plus long favoriseront une plus grande purification du distillat ainsi qu’une plus grande production d’esters. Il en est de même pour le bras de Lyne qui peut être de longueur très variable. Un bras de Lyne court favorisera un cheminement rapide des vapeurs vers le condenseur pour un distillat plus dense, plus robuste et plus huileux alors qu’un plus long favorisera un spiritueux plus délicat, plus raffiné et souvent plus fruité.
La configuration de l’alambic
Nous avons parlé de comment l’ajout d’un corset (resserrement) ou d’une protubérance au chapiteau permet d’adoucir le goût du distillat en accentuant le phénomène de reflux. Nous avons aussi vu qu’en facilitant les interactions entre les parois cuivrées de l’alambic et les vapeurs, la production d’esters sera favorisée, contribuant à l’ajout de notes fruités, florales et épicés au whisky.
Parmi les différentes configurations possibles pour un alambic, l’angle d’inclinaison du bras de Lyne est une autre façon de contrôler la quantité de reflux. Un alambic dont le bras de Lyne possède une pente vers le bas donnera un distillat plus rustique, plus dense, plus iodé, plus fumé ou plus médicinal car les vapeurs condensées plus lourdes couleront vers le condenseur. Au contraire, un alambic dont le bras de Lyne est en pente ascendante verra les constituants plus lourds redescendrevers la bouilloire suite à la condensation des vapeurs afin d’être à nouveau distillées.
Conclusion
Les propriétés chimiques et thermodynamiques du cuivre influencent grandement la nature du distillat final. Plus l’alambic est de taille importante, plus la superficie cuivrée est grande. Plus il y a de cuivre qui peut interagir avec les vapeurs, plus les impuretés et composés lourds présents dans le moût seront éliminés. Une plus grande surface de contact avec le cuivre favorise aussi la production de composés chimiques tels les esters qui influencent à leur tour les profils aromatique et gustatif du whisky. À l’inverse, les alambics de petite taille réduisent de manière significative les interactions entre le cuivre et les vapeurs. Celles-ci sont moins purifiées et atteignent plus rapidement le condenseur pour donner un distillat plus rustique, plus lourd et plus huileux. Par exemple, les petits alambics sont souvent privilégiés lorsqu’on souhaite préserver les caractères maritime ou fumé lors de la fabrication d’un whisky.
Comme nous l’avons vu, le niveau d’activité de reflux dans un alambic affecte de manière significative le caractère du distillat. Un reflux plus élevé conduit à un distillat plus léger et plus raffiné, tandis qu’un reflux moins élevé conduit à un distillat plus robuste et moins dénaturé. Un alambic à grand volume, l’ajout d’un corset ou d’une protubérance au chapiteau, un col de cygne évasé ou un bras de Lyne avec une pente ascendante sont tous des éléments qui favoriseront la présence de reflux lors de la distillation.
Sources :
Whisky Stills : Does Shape Matter?
Shaping Scotch: The Importance of the Pot Still
How copper influences the flavour of whisky
How Pot Still Shape Affects Whiskey Flavor
An Exploration of Whisky Stills
Why And How Stills Influence Whisky
What is reflux and how does it influence Scotch whisky character?