
2 semaines par année, Springbank interrompt sa production de whiskys fumés, en l’occurence les Springbank et les Longrow, pour se vouer entièrement à la réalisation des whiskys de la gamme Hazelburn. Nous parlons ici du Hazelburn 10 ans, du Hazelburn Sherry Wood 15 ans et du Hazelburn 21 ans. Bon an, mal an, la distillerie mythique de Campbeltown produit entre 37000 et 38000 bouteilles de Hazelburn. Cela représente seulement 10% de sa production totale annuelle.
Outre le fait d’être les seuls whiskys non fumés de la distillerie Springbank, les Hazelburn se distinguent par leur procédé unique de fabrication: celui de la triple distillation. Et, c’est de cela que nous allons traité aujourd’hui.
Dans l’univers du whisky, l’Irlande est reconnue comme étant le porte-étendard de la triple distillation en raison de son adoption précoce et généralisée de cette méthode de production des whisk(e)ys. Cette méthode unique de fabrication reste peu répandue à travers le monde. En Écosse, seulement quelques distilleries emploient la triple distillation, et cela uniquement pour la réalisation de certains whiskys spécifiques. Les plus connus sont les distilleries Auchentoshan, Benriach, Benromach et bien évidemment Springbank.
Pourquoi la triple distillation?
Mais pourquoi cet attrait pour la triple distillation? Ce procédé n’est-il pas moins rentable en raison du coût plus élevé de production? En effet, la triple distillation nécessite souvent des infrastructures plus complexes, des équipements supplémentaires, un allongement du calendrier de production et une mobilisation plus longue de la main d’oeuvre. De plus, elle implique inévitablement des frais supplémentaires en raison d’un demande énergétique grande. La triple distillation est d’abord et avant tout une méthode de fabrication privilégiée par le maître de la distillation (master distiller) qui cherche à élaborer un whisky ayant une identité aromatique et gustative très spécifique. La triple distillation aide à concentrer non seulement l’alcool, mais aussi les saveurs plus légères. En affinant le whisky avec ces trois distillations, le distillateur peut concentrer un profil aromatique précis qui apporte une impression d’élégance, même si cela se fait parfois au détriment de la diversité des saveurs.
Qu’est-ce que la distillation?
Avant de regarder plus en détails le procédé de triple distillation utilisé par Springbank pour la réalisation de la gamme des Hazelburn, prenons un instant pour expliquer brièvement en quoi consiste la distillation.
La distillation est l’action de purifier et de concentrer un liquide par un processus de vaporisation et liquéfaction des vapeurs. Les vapeurs provenant du mélange chauffé en alambique sont refroidies pour être transformées à nouveau en différents liquides. Étant donné que les liquides constituant un mélange ont souvent des points d’ébullition différents, les constituants cibles peuvent être séparés en segmentant la distillation en plusieurs étapes. À titre d’exemple, le point d’ébullition de l’alcool méthylique, extrêmement dangereux pour la santé, est de 68 °C, celui de l’alcool éthylique, qui est propre à la consommation récréative, est de 78,4 °C tandis que celui de l’eau est de 100 °C.
La triple distillation du Hazelburn à la distillerie Springbank
Springbank dispose de 3 alambics pour la réalisation de la distillation de ses whiskys. L’alambic de première distillation (wash still) est la seule à feu direct. C’est la raison pour laquelle elle dispose d’un mécanisme de mixage continuel pour éviter que le moût ne colle aux parois en cuivre ou ne brûle lors de la distillation. L’alambic intermédiaire (middle still ou feints still) et l’alambic pour la distillation de l’eau-de-vie (spirit still) sont chauffées pour leur part par des serpentins de vapeur internes. Autre élément intéressant, l’alambic intermédiaire est relié à un bain à serpentin extérieur (worm tube condenser) pour la liquéfaction des vapeurs alors que des condensateurs conventionnels avec un système de refroidissement par tubes d’eau froide sont utilisés pour l’alambic de première distillation et l’alambic pour distillation de l’eau-de-vie.
Pour le Hazelburn, le moût (wash), qui est essentiellement un liquide sucré contenant les sucres résultant de la fermentation de l’orge maltée, est chauffé dans l’alambic de première distillation. Au départ, ce brassin possède une teneur en alcool avoisinant les 4 à 6%. Lors de cette première distillation, le moût est chauffé jusqu’à ce qu’il se vaporise. Les vapeurs qui s’élèvent sont ensuite condensées pour produire ce qu’on appelle les bas vins (low wines), un liquide ayant une teneur en alcool d’environ 20-25%. La méthode traditionnelle de distillation à flamme à nu du premier alambic infère au distillat des particularités uniques aux whiskys de Springbank.
Par la suite, les bas vins (low wines) résultant de la première distillation seront ensuite chauffés dans l’alambic intermédiaire. Ce processus de distillation supplémentaire permet de concentrer davantage l’alcool et d’éliminer les impuretés. Le produit de cette deuxième distillation est parfois appelé “feints” ou “second feints”. La distillation des bas vins dans l’alambic intermédiaire se décompose en trois phases distinctes. Les première et dernière phases, dites têtes et queues de distillations sont mis de côté car ils sont soit impropres à la consommation ou encore en raison de leur caractère inapproprié. Chaque fois que les têtes et les queues sont séparées, elles sont généralement recyclées lors de la distillation suivante dans le même alambic ou le précédent. La phase intermédiaire de la passe de distillation, appelée cœur de chauffe, est recueillie séparément. Elle titre habituellement entre 30 et 35% environ.
Pour la troisième et dernière étape de la distillation, le cœur de chauffe de la deuxième distillation (feints ou second feints) est chauffé dans l’alambic de distillation de l’eau-de-vie. Cette troisième distillation répète les mêmes phases que la deuxième, les têtes et les queues étant collectées séparément pour être distillées à nouveau lors de la passe suivante. Ce procédé permet d’obtenir un spiritueux encore plus pur, avec une teneur en alcool s’élevant maintenant à près de 74%. La troisième distillation produit un distillat au caractère de fruits d’été, comme la pêche ou la poire. Bien que présentes dès les premières étapes de la distillation, ces notes fruitées demeurent masquées par les composants plus lourds jusqu’à ce que la troisième distillation les sépare et les efface complètement du distillat final.
Comme nous sommes en mesure de constater lors de notre récente dégustation du Hazelburn 10 ans, le résultat final est un whisky avec une texture plus douce, voir onctueuse, avec des arômes plus subtils de poire mure et une palette de saveurs plus raffinée par rapport aux whiskys produits selon la méthode de distillation classique de double distillation.