
Laphroaig est l’une des distilleries de whisky les plus emblématiques d’Écosse, située sur l’île d’Islay dans la ville de Port-Ellen, elle est réputée pour ses single malts au caractère puissant, fumé et aux fortes notes médicinales. Depuis octobre 2024, George Campbell dirige la destiné de la distillerie Laphroaig. Il a succédé à Barry MacAffer, qui a récemment quitté la distillerie après 13 ans de loyaux services. Alors que Laphroaig avance dans le XXIe siècle, cet établissement mythique fait face à de nouveaux défis, notamment liés aux changements climatiques et aux évolutions des préférences des consommateurs. Pourtant, forte de son histoire bicentenaire et de sa réputation d’excellence, Laphroaig semble bien placée pour continuer à prospérer, perpétuant ainsi l’héritage laissé par leurs fondateurs sur les rivages venteux d’Islay.
Une tradition insulaire depuis 1815
La distillerie Laphroaig, dont le nom provient du gaélique « Lag a’ Mhòireig » signifiant « la belle vallée près de la large baie »,
La distillerie Laphroaig, dont le nom signifie en gaélique « la belle vallée près de la large baie »,est fondée en 1815 par Donald et Alexander Johnston sur la côte sud de l’île d’Islay en Écosse. L’île, déjà réputée pour ses alcools de contrebande, devient au début du 19ième siècle un terrain fertile pour le développement de la distillation légale, en grande partie grâce au soutien du riche propriétaire local, Walker Frederick Campbell. À l’origine, les Johnston étaient des éleveurs de bétail qui utilisaient l’orge excédentaire pour produire du whisky. Cette activité s’avéra rapidement plus lucrative que l’élevage, notamment grâce à la qualité remarquable du spiritueux issu de leurs alambics. Ce qui a mené à l’établissement officiel de la distillerie.
Laphroaig est l’un des rares single malts qui ait toujours revendiqué un caractère aussi affirmé, marqué par la tourbe, l’iode et des arômes médicinaux puissants. Cette signature aromatique si reconnaissable prend racine dès l’origine dans l’utilisation exclusive de la tourbe locale, issue des vastes tourbières d’Islay. Dès le 19ième siècle, ce whisky commence à se distinguer des autres productions d’Islay. En 1836, Donald Johnston devient l’unique propriétaire de la distillerie, et sous sa conduite, Laphroaig connaît une expansion significative. Son décès tragique en 1847 dans un accident de distillation conduit la gestion de l’entreprise à son jeune fils, Dugald, qui n’avait que 11 ans. En attendant qu’il atteigne l’âge adulte, la distillerie fut gérée par des membres de la famille.
L’essor de la distillerie au XXe siècle
Le vingtième siècle marque une ère de profonde transformation chez Laphroaig. Sous Ian Hunter, arrière-petit-fils de Donald, Laphroaig entre dans une nouvelle phase de reconnaissance. Dès les années 1920, alors que la majorité des distilleries écossaises vendent leur production à des assembleurs, Laphroaig opte pour la commercialisation de son whisky en tant que single malt. Une décision audacieuse, qui positionne la marque comme une pionnière dans l’univers du whisky.
Un fait remarquable dans l’histoire de Laphroaig fut son statut particulier pendant la Prohibition américaine (1920-1933). En effet, Laphroaig fut l’un des rares whiskys autorisés à être importés aux États-Unis pour “usage médicinal”. Cette exception était due à sa saveur fortement iodée et médicinale, que les médecins américains prescrivaient pour diverses affections respiratoires. Ce statut spécial contribua grandement à sa reconnaissance internationale et permit à la distillerie de traverser cette période difficile alors que de nombreuses autres souffraient des restrictions. Du reste, c’est au États-Unis que Hunter découvre l’intérêt des fûts de bourbon pour le vieillissement. Cette initiative posera les bases de l’utilisation quasi exclusive de ce type de fût à Laphroaig jusqu’à aujourd’hui.
Bessie Williamson
À la mort d’Ian Hunter en 1954, sans héritier direct, la distillerie fut léguée à sa secrétaire de confiance, Elizabeth “Bessie” Williamson, qui avait rejoint Laphroaig en 1934. Ce transfert de propriété était remarquable pour l’époque, faisant de Williamson l’une des premières femmes à posséder et diriger une distillerie de whisky écossais. Sous sa direction, Laphroaig continua à prospérer malgré les difficultés de l’après-guerre, période pendant laquelle les installations de la distillerie avaient été temporairement réquisitionnées pour servir de garnison et d’hôpital militaire. Elle perpétue la vision d’un whisky indépendant, enraciné dans son terroir, tout en entamant une modernisation progressive des installations.
En 1967, Laphroaig est rachetée par Seager Evans & Company, propriété du groupe américain Schenley. Après le départ en retraite de Bessie en 1972, la distillerie passe entre plusieurs mains. C’est également à cette époque que le nombre d’alambics est porté à sept.
Du statut familial à la propriété internationale
À partir des années 1980, la distillerie entre dans une ère plus industrielle, sans toutefois renier son identité. En 1989, Laphroaig devient propriété d’Allied Domecq, avant de passer chez Fortune Brands en 2005. Ce changement de propriétaire coïncide avec un regain d’intérêt pour les single malts tourbés et le lancement de l’initiative Friends of Laphroaig, une communauté internationale d’amateurs du whisky. Le concept, original, propose à chaque membre de « posséder » symboliquement un pied carré de terre sur Islay.
En 2014, la distillerie est intégrée au portefeuille du géant japonais Beam Suntory. Malgré ce changement de main, Laphroaig bénéficie d’un soutien financier important, sans compromettre ses méthodes de production. La marque conserve son authenticité, tout en se dotant des outils nécessaires pour faire face à la demande mondiale croissante. Beam Suntory reste encore aujourd’hui propriétaire de la distillerie.
Les installations de production
Cette distillerie légendaire, caractérisée par ses bâtiments blanchis à la chaux typiques de l’architecture traditionnelle écossaise, incarne depuis plus de deux siècles la quintessence d’un savoir-faire ancestral. Alliant tradition et modernité, Laphroaig est l’une des dernières distilleries à pratiquer le maltage traditionnel directement sur le site. Ne pouvant couvrir que 20 à 30 % de ses besoins en orge, le reste provient de la malterie voisine de Port Ellen.
L’orge est d’abord trempée dans de l’eau de source locale provenant du Loch Kilbride, puis étalée sur les sols de maltage où elle germe pendant plusieurs jours. Les malteurs retournent régulièrement l’orge à la main à l’aide de pelles spéciales pour assurer une germination uniforme. Par la suite, l’orge maltée est séchée dans des kilns traditionnels avec de la fumée de tourbe provenant des tourbières privées de la distillerie. Ce procédé de fumage dure entre 10 et 12 heures. Cette tourbe possède une composition unique, riche en mousses, lichens et végétaux maritimes, qui donne au whisky ses notes fumées caractéristiques. Une particularité notable est que Laphroaig est propriétaire de sa propre tourbière, disposant de ressources suffisantes pour l’approvisionner pendant encore 4000 ans, garantissant ainsi la pérennité de son caractère distinctif.
L’eau utilisée provient du Loch avoisinant, filtrée naturellement par la tourbe. Ce liquide, chargé en éléments organiques, contribue aussi à la singularité gustative du whisky. Le brassage est réalisé dans des cuves en inox avant fermentation. Au nombre de 6, elles ont une capacité de 52 000 litres chacune. Celle-ci dure environ 55 à 70 heures, durée volontairement prolongée pour favoriser une fermentation complexe générant des esters fruités et des notes légèrement acidulées.
La distillation est effectuée dans sept alambics en cuivre : trois alambics de première distillation (les wash stills) de 10 400 litres chacun et quatre alambics de seconde distillation (les spirit stills), dont un de 9 400 litres et trois de 4 700 litres. Les alambics de première distillation de Laphroaig ont la forme d’un oignon, mais s’élancent ensuite vers le haut pour former de très grands cols coniques. La hauteur supplémentaire des alambics permet d’augmenter la quantité de reflux. Les alambics de seconde distillation ont également une forme inhabituelle, avec des bases plates en demi-sphère et un étranglement très étroit dans la partie intermédiaire de l’alambic. Il en résulte une interaction plus intense entre les vapeurs et le cuivre. Tous les alambics possèdent aussi un bras de Lyne avec une inclinaison ascendante, favorisant le reflux. Ce profil d’équipement, unique et volontairement irrégulier, permet de produire un distillat au caractère unique et doux. Le distillat final titre à 68,5 % avant d’être réduit à 63,5 % pour l’enfûtage.
Le vieillissement s’effectue principalement dans d’anciens fûts de bourbon américain, stockés dans des chais face à l’océan. Plus de 90 % des fûts utilisés par Laphroaig sont des fûts de bourbon de premier remplissage fait de chêne blanc américain. L’influence maritime, les embruns et l’humidité modèlent les arômes au fil des années. La plupart des expressions vieillissent dans des fûts de bourbon, mais certaines éditions utilisent également des fûts de xérès ou d’autres types de bois pour créer des profils plus riches et plus variés.
Le caractère distinctif du Laphroaig
Ce qui distingue fondamentalement Laphroaig des autres whiskys, même au sein de l’île d’Islay réputée pour ses singles malts tourbés, c’est son caractère phénolique prononcé et ses aspects médicinaux. Cette signature gustative unique provient de plusieurs facteurs interdépendants qui constituent le terroir particulier de Laphroaig.
La tourbe utilisée pour le maltage provient de tourbières privées, composées essentiellement de végétaux marins.
L’orge maltée produit à la distillerie est plus tourbé que celui fourni par la malterie Port Ellen. Elle montre un indice phénolique se situant entre 35 et 60 PPM comparativement à 35 à 45 PPM pour la malterie de l’île.
L’eau du Loch Kilbride, filtrée naturellement à travers la tourbe avant d’être captée pour la production, apporte des éléments minéraux et organiques qui contribuent significativement au profil aromatique du whisky.
La situation géographique de la distillerie, directement exposée aux embruns et aux vents marins de l’Atlantique Nord, influence profondément le processus de maturation. Les entrepôts situés face à la mer permettent aux fûts d’absorber les embruns salés qui pénètrent à travers les murs poreux des bâtiments, ajoutant une dimension maritime supplémentaire au whisky.
Cette combinaison de facteurs crée un profil gustatif singulier à la fois médicinal, iodé, fumé et légèrement sucré qui divise souvent les amateurs de whisky. Cette polarisation fait partie intégrante de l’identité de Laphroaig, comme en témoigne leur slogan “You’ll love it or hate it”.
Conclusion
Laphroaig est bien plus qu’une distillerie. C’est une institution, un symbole d’un style de whisky sans compromis. Son goût si particulier, tourbé, salin, parfois médicinal, divise autant qu’il passionne. Mais c’est précisément ce caractère unique qui a forgé sa renommée internationale.
À travers les siècles, malgré les crises économiques, les guerres, les changements de propriétaires et les défis environnementaux, Laphroaig a toujours su conserver son âme. Son ancrage profond dans le terroir d’Islay, son respect des méthodes traditionnelles, et son ouverture mesurée à l’innovation en font une distillerie admirée dans le monde entier.
Alors que le whisky devient un produit mondialisé, souvent standardisé, Laphroaig continue de prouver qu’un goût fort, assumé, parfois clivant, peut traverser les époques et toucher toutes les générations. Dans chaque goutte de ce single malt résonne l’histoire d’une île, d’un peuple, et d’un savoir-faire transmis avec fierté. Laphroaig ne se contente pas de produire du whisky. Elle perpétue une culture, une émotion, une légende.